15 août 2011

Rubin Kazan et le néo-catenaccio

Dans un post précédent, j'avais déjà brièvement présenté l'émergence du club de Kazan dans le football européen en rapprochant les titres du Rubin Kazan à la politique de promotion de l'identité russe dans les régions périphériques menée par le pouvoir de Moscou. Appell (2009) ou Vivodtzev, (2010) notent en effet que ce contexte politique n'est peut être pas étranger aux titres que le club de la principale région musulmane de Russie a conquis en 2008 et 2009.


L'actualité du football russe a montré que ces enjeux politiques n'étaient pas sans susciter quelques jalousies en Russie. En particulier, certains commencent à sentir que la suprématie des clubs de Moscou sur le football russe pourrait être menacée par une politique régionale encourageant les régions (et les clubs) périphériques. C'est du moins ainsi que l'on interprète les insultes (comprendre : "Zhirkov salope !") du public moscovite à l'encontre de Zhirkov, lors d'une rencontre de la Russie contre la sélection serbe. Le public moscovite reprocherait en effet à l'ancien joueur de Chelsea d'avoir rejoint l’Anzhi Makhachkala (Daguestan), un club suspecté d'être avantagé par le pouvoir central au même titre que les autres clubs caucasiens évoluant dans l'élite russe (Terek Grozny, Spartak Nalchik).



Ce contexte politique évoqué, revenons au terrain car c'est bien sur la pelouse que l'Olympique Lyonnais devra jouer pour accéder à la Ligue des champions. L'adversaire est coriace (je l'avais déjà évoqué lors de mon précédent post) et bâti selon des principes de son entraîneur Berdyev. L'entraîneur turkmène de Kazan, musulman pratiquant, dégage une ascèse footballistique qui imprègne son équipe. Disons le tout de suite, dans son esprit, l'organisation défensive prime sur la spontanéité ou la créativité. Ainsi, et c'est la première caractéristique de cette équipe, la défense de Kazan figure parmi les plus solides de Russie. Pour preuve : Kazan a terminé meilleure défense du championnat russe ces deux dernières saisons (37 buts concédés en 60 matchs), avec au coeur de cette défense à quatre, un imposant défenseur central (1,88 m), César Navas, extrêmement fiable.

Au delà cette solide assise défensive, la seconde caractéristique du jeu de Rubin Kazan est la conservation de balle. C'est en effet, depuis le début du championnat russe, le club qui fait le plus de passes (environ 575 par match), qui réussit le plus ses passes (81% de passes réussies), et qui a le plus souvent la possession de balle (59%). A première vue, on pourrait penser qu'un jeu défensif et un goût pour la conservation de balle sont deux caractéristiques contradictoires. Ce n'est pourtant pas le cas pour le Rubin Kazan car la possession de balle est le fait de ses joueurs défensifs. Ces défenseurs (Navas, Bocchetti, Ansaldi) sont bons techniciens, de même que les deux milieux défensifs du 4-2-3-1 de Berdyev (Christian Noboa et Bibars Natcho). On retrouve d'ailleurs ces cinq joueurs parmi les 20 meilleurs passeurs du championnat russe.


En somme, Rubin Kazan incarne une certaine forme de néo-catenaccio. Ce courant, plus subtile que catenaccio classique qui cherchait uniquement à verrouiller l'adversaire en se contentant volontiers du match nul, trouve son origine avec l'équipe de France de Jacquet (1998). Il repose sur une idée du génie militaire. Les manuels de guerre enseignent en effet que si défendre c'est d'abord parer les coups de son adversaire, il faut aussi garder en tête qu’un défenseur est toujours susceptible de rendre les coups ("la défensive n'est rien d'autre que la forme la plus forte de la guerre, pour vaincre son adversaire", écrit Clausewitz). Cette idée, au coeur du néo-catenaccio, l'Inter de Mourinho (2010) l'a parfaitement matérialisé. Lors de la demi-finale de Ligue des Champions en 2010, c'est moins la rigueur défensive des Interistes que leur extraordinaire capacité à déployer des contre-attaques inopinées, verticales, avec une intensité maximale, qui leur a permis d'éliminer Barcelone (3-1 au match aller).

C'est donc à ce courant que l'on peut rapprocher le Rubin Kazan de Berdyev. Kazan est une équipe qui aime conserver le ballon, qui frustre l'instinct créatif de son adversaire, et qui peut marquer à tout moment. Une redoutable efficacité dont témoigne la victoire (2-0) de Kazan à Kiev, lors du tourqualificatif précédent de la Ligue des Champions : au cours de cette rencontre, les joueurs de Rubin ont réalisé deux tirs et marqué autant de buts.

Photos : Reuters Pictures, Europa League News.

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